Les chiens de traineaux ne trainent pas

En cette fin de matinée ou le soleil contraste avec la neige qui recouvre tout, je suis au rendez-vous que Jeremy m’avait fixé la veille. Je me suis garé sur le parking d’un petit bois attenant, équipé comme pour aller au pôle Nord, j’allais le regretter. La neige de la nuit est une poudreuse crissante sous les pas, les arbres sont revêtus de guirlandes de neige qui commencent à goutter avec les rayons du soleil. 

Les chiens jappent d’excitation attendant le départ de la randonnée en traîneau. Les plus anciens prennent la chose avec philosophie comme savent (en principe) le faire les plus aguerris. Les jeunes se roulent de contentement dans la poudreuse, puis s’ébrouent. Tous sont attachés de part et d’autre de la ligne de trait de l’attelage relié au léger traîneau tubulaire.

Jeremy m’attribue un attelage court, avec tout de même quatre chiens marrons et blancs et me confie « tu verras, les femelles sont plus cool » pour me rassurer. Je dois peser de tout mon poids sur le frein au pied et ne pas laisser entendre que l’on va prendre le départ. Je tiens fermement le haut du dossier qui sert aussi à diriger l’engin. Je souris béatement à une stagiaire de quatorze ans qui s’assure calmement de l’attelage par une traction courte et sèche. Nous sommes cinq attelages, dont trois comme le mien avec quatre chiens. Jeremy et Gabriela en dirigent un de six chiens chacun. Chacun d’eux ouvrira et fermera la randonnée, manière d’avoir de la ressource et venir en aide rapidement comme tout bon moniteur. Si nous sommes tous musher, pour le coup je sens que j’usurpe plutôt le titre. La pression monte doucement en moi sentant le moment ou il me faudra assurer seul pour la première fois.

Je n’attends pas trop, Jeremy par un « ya » décide du départ en prenant la tête. Il est aussitôt suivi l’un après l’autre des deux autres randonneurs, les chiens de leur attelage obéissent en fait à celui de Jeremy qui les précède, eux déboulent à la suite du Chef (Super Endurant Organisateur)

J’anticipe mon tour, les chiens ne se mettant pas à tirer tous au même moment ce qui me permet d’accuser la traction rapide du départ. Les chiens sont très emballés c’est le cas de le dire, ils partent à toute allure comme une course folle pour moi, par pour eux. Heureusement, un départ un peu en côte limite mon appréhension qui dure jusqu’au sommet de la colline, puis ça dévale. Je me souviens de mes débuts en ski avec les jambes fléchies, ici c’est la même chose. Je n’ai pas besoin de diriger les chiens qui connaissent la routine de leur circuit et doivent surtout être des vétérans. Déjà au bout d’un temps estimé à une dizaine de minutes les chiens de tous les attelages se sont calmés prenant leur second souffle, ils termineront peinards m’a assuré Jeremy. Je surveille tout le temps que la ligne de trait soit tendue par l’effort de traction réparti.

Quelques virages peu prononcés m’invitent à utiliser le transfert de poids pour ne pas valdinguer ou être déporté par l’inertie de l’engin. Les chiens sentent bien la vie de l’attelage qui les suit. S’il arrivait d’être en quelque sorte éjecté, il faut se cramponner sec à l’attelage quitte à se faire trainer un peu, puis profiter du moment de surprise des chiens pour vite reprendre sa place arc-bouté sur les patins. Aucun de nous n’a perdu pied, au sens propre.  Mon attelage, je l’ai ensuite compris obéissait surtout aux ordres des voix connues de Jeremy et Gabriela.  

Je profite de la docilité des chiens et commence à regarder l’environnement de près aux clôtures dénudées, les arbres sombres dans leur tenue hivernale et des bois de conifères. Des fondeurs font un ballet immuable balançant les bras d’un mouvement de métronome, ici le temps est suspendu.

La boucle est bouclée et nous revenons par un autre endroit à notre point de départ que les chiens sentent dans un dernier effort avant deux jours de repos.

Je ne sais pas trop faire la différence entre toutes les races de chiens de traîneaux ; Samoyèdes, Alaskans, Malamutes ou Groenlandais.

Demain, je dois effectuer une cani-rando. Je serais attaché par la taille par une longe reliée à un chien me précédant, je le guiderais à la voix. J’ai vu hier sur un chemin une cani-trotinette, sorte de mixage entre VTT et trottinette, tirée par deux chiens. C’est difficile d’avoir le temps et l’énergie d’en faire le maximum, le temps d’une période de congés.

Ce soir, l’ombre de mon attelage ne s’étirera pas au soleil couchant des près enneigés, j’irai au lit de bonne heure, ça c’est certain.

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